20.1.05

Vers le Carihuarazo…

30-31 décembre

Cette expédition restera à jamais, pour moi, comme une de nos plus belles expériences de famille. J’attendais ces deux jours de marche en montagne comme nos enfants attendent Noël à chaque année. Avec un peu d’appréhension aussi… Geneviève, avec raison, s’inquiétait des effets du froid et de l’altitude sur les enfants. Nous allions quand même dormir à plus de 4300m, dans des tentes. La température allait frôler le point de congélation. En demandais-je trop à la famille en Équateur?

Toujours est-il que nous avons quitté l’appartement d’Isabelle vers 19 heures le 29
Décembre. Direction Urbina; une vielle station de train transformée en camp de base par Rodrigo, notre guide pour l’expédition. Quelques mots sur lui : Il a 48 ans et lorsqu’il parle des montagnes, il a l’air d’un enfant aux tourniquets d’un parc d’amusement. Pour ceux qui ont connu l’ami Pierre Valiquette (que je salue quelque part en train d’aider dans un coin dangereux du Congo), il est pareil; cheveux très courts, visage carré, petite stature, forme physique incroyable, un peu excessif aussi. Rodrigo n’a plus qu’un poumon (!), l’autre, il se l’est fait piquer par des salauds il y quelques années durant une expédition au Chimborazo. Ces derniers l’ont battu alors qu’il s’était détaché les mains afin de s’enfuir. Malgré cela, Rodrigo est aujourd’hui un des meilleurs montagnards de son pays. Sa passion des Andes est aussi visible et vraie que contagieuse. Nous l’avons rencontré par hasard un dimanche après-midi où nous rentrions à Riobamba en provenance de Baños. Après quelques minutes de conversation, je lui ai demandé s’il avait déjà monté avec une famille comme la nôtre. « Y avait-il des expéditions qui nous étaient accessibles, sans trop de danger? »

Sa réponse fut que oui! Qu’il existait entre le Chimborazo et son voisin, le Carihuarazo, une passe qui consistait en deux marches de quatre heures très faisables pour les enfants. Nous avons fait sur le champ le pacte de réaliser cette expédition ensemble. Il m’a promis qu’il nous guiderait personnellement. Il gère une petite entreprise qui organise des expéditions en montagnes et il embauche de très bons guides. Mais, il voulait monter avec nous pour le plaisir d’une aventure différente en montagne, en famille (il est lui-même à la fois grand-père et jeune père!).

Quand nous sommes arrivés à Urbina vers 21 heures, il faisait froid. Autour de 5 degrés probablement. La beauté du ciel nous a tout de suite pris les yeux mettant en scène le début de notre aventure. Ils nous attendaient. Surprise : Un groupe de musique des Andes (six musiciens incroyables) a fait danser la vingtaine de montagnards qui dormaient, comme nous ce soir là, à Urbina avant de partir en montagne. Flûtes de pan, tambours, guitares ainsi qu’un petit instrument à douze cordes dont j’oublie le nom (du genre de celui de Thomas Fersen) et de belles voix indiennes nous ont bien réchauffés. Rodrigo sautait partout, invitait nos filles à danser, sifflait dans une grande corne de brume. Quel dépaysement! Pas autant à nous, semblait-il, qu’aux dix américains qui venait ici faire l’ascension du Chimborazo, la plus haute montagne de l’Équateur. Voilà, il se faisait tard. Nous avons dit bonne nuit et devant le feu du foyer de notre chambre, nous nous sommes endormis excités.

Le lendemain nous avons pris le petit déjeuner dehors sur le quai de l’ancienne gare. Un beau soleil nous réchauffait. Les sommets des deux volcans étaient bien visibles. Quelle chance! Quelques lamas regardaient, comme nous, l’expédition se préparer tranquillement… Il fallait monter le campement, l’équipement de camping, les vivres, les sacs de vêtements, l’équipement d’escalade, etc. Quatre personnes et cinq chevaux allaient monter avec nous; en plus de Rodrigo, Fabien (cuisinier et porteur) ainsi que Raymondo et Segundo (cavaliers et assistants au cuisinier) allaient avec la plus grande gentillesse rendre notre expédition sécuritaire et mémorable.

Nous sommes partis vers 9 heures en camionnette jusqu’au sommet de la route, à environ 3 900 mètres. Les cavaliers sont partis eux avec trois chevaux et le matériel de l’expédition. Ils allaient nous devancer pour aller installer le campement. De là, nous avons d’abord longé une magnifique vallée entre le deux grandes montagnes. Mathilde à mon dos, Victor sur celui de Fabien, son porteur (et à la fin inséparable complice), Florence ou Marie sur le cheval tandis que l’autre marchait au côté de Geneviève comptant les minutes avant son tour sur le dos de Russillo (le cheval). Nous avons marché les deux premières heures sans trop forcer, traversant au soleil de grands champs et quelques rivières provenant des glaciers. Un peu essoufflés par l’altitude, sans plus.

Après la pause pour le lunch, le temps a changé. Les nuages et le froid nous ont accompagnés jusqu’au campement. La deuxième partie de cette marche fut beaucoup moins facile. Une longue et constante montée sur le flan abrupt du Carihuarazo nous a pris tous nos efforts et notre énergie. Heureusement, la beauté de la nature et les paysages (cliché) nous encourageaient à continuer. Le vert était désormais derrière nous faisant le place aux blondes herbes, aux tout petits arbustes, aux pierres et à la terre brune des hautes montagnes. Le froid a vidé nos sacs. Toutes les pelures possibles mises, tuques et mitaines aussi, nous sommes parvenus au campement vers trois heures sous un ciel très gris. Il neigeait et grêlait faiblement. Les enfants étaient mêlés; fallait-il crier la joie de voir la neige tomber ou se plaindre du froid qu’il faisait? Ils ont fait les deux.

Heureusement, Raymondo et Segundo s’étaient bien rendus avant nous. Le campement était en place. Une grande tente pour cuisiner et un autre pour manger. Quatre autres petites Eureka pour dormir. Après s’être un peu réchauffé près du brûleur au gaz et avoir mangé des guimauves grillées (merci Geneviève) dans la tente qui servait de cuisine, nous sommes allés changer de vêtements et préparer les tentes pour la nuit qui commençait à tomber. On s’est ensuite attablé et un repas superbe nous a été servi; une soupe consistante aux légumes, du poisson, des côtelettes de porc, des pommes en purée, une salade de légumes cuits ainsi que des fruits en dessert. Rodrigo nous a raconté plein d’histoires tirées de ses expéditions dans les Andes.

Puis on s’est mis à parler de tout et de rien. On parlait de Noël et du Jour de l’An, des différences entre nos deux cultures. Il nous expliquait que pour le Jour de l’An, en Équateur, les gens construisent des pantins géants représentant des personnages publics qui ont marqué l’année. Lorsque minuit sonne le 31 décembre, ils les battent et les brûlent pour rire, naïvement. La tradition consiste aussi à se vêtir de noir le 31 au soir, en deuil de la nouvelle année. Puis, il a commencé à nous raconter cette triste histoire s’étant passée quelques jours auparavant (le lendemain de Noël). Cinq jeunes enfants ont été enterrés, alors qu’ils dormaient dans un conteneur à vidange, par un camion qui déchargeait son contenu. Il n’a fait que commencer l’histoire parce les larmes ont tout de suite mouillé ses yeux et la tristesse éteint sa voix. Nous avions lu la nouvelle dans le journal de Baños. Un des enfants a survécu; le plus vieux qui avait 9 ans je crois. Ces enfants avaient été mis à la porte d’une maison pour enfants seuls la veille et n’avaient trouvé que ce lieu sordide pour se réchauffer. La symbolique des enfants aux poubelles est tellement forte… Putain de vie parfois! Tous ce qu’on a pu se dire, c’est que cette histoire aurait pu avoir lieu à Montréal-Nord ou dans le quartier de la petite patrie à Montréal.

Vers 7h30 (!), la noirceur, le froid et la fatigue nous ont conduits à nos tentes. Genou avec Mathilde et Florence dans une, et moi avec Marie et Victor dans l’autre. La chaleur de la bougie quelques minutes a chassé un peu d’humidité mais pas le fond d’angoisse que vivaient les enfants. Mathilde surtout. Elle a pleuré longtemps et a mis beaucoup de temps avant de s’endormir. Marie aussi était angoissée. Elle pour une autre raison. Elle savait depuis des semaines que durant cette nuit j’allais partir avec Rodrigo et tenter d’atteindre le sommet du Cariharazo. Rodrigo avait beau lui avoir expliqué que ce n’était pas dangereux, lui avoir montré tout l’équipement de protection (crampons, piolet, cordes), il lui restait cette peur de me voir partir, (à la plus plus grande aussi, Geneviève, qui pensait à son bonheur de petit gars, au désir qu’elle avait aussi de les suivre tout en haut, mais aussi au pire! Yves lui laissait de plus le combat des fantômes et du froid des enfants de cette nuit si noire, humide et nébuleuse…houhou)

Après un bout de nuit difficile (Geneviève et moi plusieurs fois levés pour rendormir Mathilde ou pour le pipi de Victor), Rodrigo m’a réveillé comme convenu, vers deux heures et demie. Il fallait environ trois heures de marche et d’ascension avant d’atteindre le sommet, donc un départ vers trois heures. Après avoir avalé un grand bol de gruau à la cannelle et une double portion de tisane de coca, nous étions prêts à partir. Un gros manteau d’hiver, une tuque, une lampe frontale, des mitaines, des jambières, des guêtres, des bottes de montagnes et un sac au dos contenant mes crampons, de l’eau et une collation; voilà en gros l’attirail de l’alpiniste nerveux que j’étais. Allais-je m’y rendre?

La lune était brillante. Rodrigo est parti devant moi. (Je les ai vu partir tout secrètement et suivi leur petite lumière puis le brouillard les a enveloppé. Drôle de feeling!) Il m’avait prévenu, mais le rythme de notre marche m’a impressionné. De très lents pas toujours pareils. « Il faut s’imprégner d’un rythme, le suivre et arrêter le moins souvent possible » m’avait-il dit. Quand même, à ce rythme là allions- nous nous rendre au sommet avant le lever du jour? Nous avons marché environ une heure trente avant d’arriver au glacier. La lune était tellement forte que la frontale n’a pas été utile. Trois éléments impressionnants durant cette première phase : La vue du Chimbrorazo avec son sommet enneigé que l’on voyait comme s’il faisait jour; le cri des vicuñas (sortes d’antilopes dans la famille des lamas et des alpacas vivant à plus de 4000m) semblables à celui d’oiseaux; et finalement la beauté du ciel (Orion, la Grande Ourse à l’envers et mieux encore, la Croix du Sud).

Arrivés au glacier, j’étais encore plus impressionné. Rodrigo et son assurance m’ont beaucoup aidé à garder le calme qui m’a permis par la suite de savourer chacun des instants jusqu’au sommet de cette montagne. Il fallait mettre les crampons et s’attacher lui et moi. Une dernière revue des quelques techniques requises en cas de chute sur le glacier (l’usage du piolet pour ne pas glisser) et nous voilà sur la glace. Durant plus d’une heure nous avons conservé notre rythme plantant bien un pied après l’autre, contournant une crevasse ici, crispant tous les muscles parfois lorsque la glace craquait sous nos pieds. L’angle de la pente du glacier n’était pas si abrupte (bien qu’à quelques reprises il fallait poser les mains pour maintenir l’équilibre), mais une heure plus loin lorsque je regardais derrière, j’étais heureux d’être lié par cette corde à un des meilleurs alpinistes de l’Équateur (Rodrido m’a dit plus tard qu’il était allé près de 80 fois au sommet de cette montagne).

Une petite pause à la fin du glacier avant d’entreprendre le dernier droit, celui qui fut le plus difficile pour moi; le temps de boire de l’eau, de manger quelques amandes et de prendre quelques photos. L’escalade des derniers deux cent mètres se faisait sur une pente très abrupte couverte principalement de pierres mobiles. Rodrigo, six mètres devant mois devait être très prudent pour ne pas faire rouler ces pierres sur moi. Durant cette dernière demi-heure, j’ai touché à mes limites et vite compris que ma forme physique n’était pas celle de Rodrigo. Ce dernier dépassement m’a par contre permis d’apprécier davantage la joie d’atteindre le sommet.

Y a pas de mots pour décrire la magie et la grandeur de ces instants que j’ai passés au sommet de ce volcan (5020m). Quelques photos et quelques minutes de vidéo pourront bien sûr évoquer en partie la beauté de ce que je voyais. J’espère un jour vous les montrer. Voici ce qui m’a le plus impressionné : d’abord la certitude que le sommet des volcans constitue une drogue, j’en suis certain après avoir entendu ce cri de joie qu’a laissé sortir Rodrigo dès qu’il a atteint le sommet; je me rappellerai aussi toujours cette accolade complice que nous avons faite, lui et moi, quand j’ai atteint le sommet quelques secondes après lui; quelle chance, le soleil se levait pour nous allumant le glacier du Chimborazo auquel nous faisions face, nous étions à près d’un kilomètre du point sur terre le plus rapproché du soleil (à 6310m de par sa proximité de la ligne de l’équateur); ce plancher de nuages roses (tel qu’on les voit en avion) et le Cotopaxi dont on voyait clairement la cime (la cumbre) à plus de cent kilomètres; et finalement, le Tungurahua qu’on ne pouvait voir parce qu’il était à l’est ébloui par le soleil, mais qui nous a fait entendre le bruit de son ventre en éruption tel le tonnerre au loin.

Impossible dans ce silence de toucher à la beauté du monde et de ne pas penser à ceux qui nous sont proches, ma petite famille qui m’a suivi non sans difficulté dans cette expédition un peu périlleuse, à Geneviève surtout, qui m’a permis d’aller au bout de ce rêve. À mes parents aussi. Merci. Grâce à un poste-radio, nous avons appelé le campement vers six heures pour les rassurer et leur faire partager notre joie. Difficile aussi de ne pas se poser de questions sur la création de cette beauté, sur sa perfection vue de là-haut. Suivant les conseils d’André, j’en ai profité pour saluer le gars d’en haut avant de redescendre. J’avais deux questions pour lui. Et si tout pouvait être aussi beau, juste et équilibré à hauteur d’homme. Pourquoi notre planète ne pourrait-elle pas tourner moins vite dans le sens où elle court à sa perte? Repenser sa course…

Nous sommes redescendus en moins de deux heures, Rodrigo gambadant loin devant et moi, disons, savourant mes derniers pas. Vers 8 heures nous étions donc avec les autres qui se réchauffaient dans la cuisine-tente et qui nous acclamèrent à notre vue tout en haut, aidés de l’écho des montagnes. La gloire, quoi!!!

La deuxième journée de marche fut plus facile pour tous (sauf pour moi qui ai dû passer Mathilde au dos de Geneviève à quelques reprises). Les enfants étaient joyeux. Notre longue marche était principalement en descente dans une vallée dont la beauté a peu d’égale. Nous sommes arrivés bien en avance sur l’horaire, le temps d’étirer notre lunch et de laisser à certaines personnes, le bonheur de dormir sur l’herbe. Victor se bataillait avec Fabian. Tout le monde aussi heureux que fatigué. Juste avant de m’endormir j’ai pensé à cette phrase de Prévert (je crois) « Dépêchez-vous de déjeuner sur l’herbe, un jour l’herbe déjeunera sur vous ».

Rentrés à Urbina vers 15 heures, Rodrigo a insisté pour présenter aux enfants un de ses vieux rêves qui va se réaliser sous peu (il a déjà un site Web et des commandites): mettre en vie Condorman et sensibiliser ses compatriotes à l’environnement. Il a créé avec des amis ce super héro illustré avec ses alliés les animaux, les arbres, etc. et ses ennemis, la pollution, la désertification, l’ignorance… Son projet consiste à partir avec une troupe de théâtre, des marionnettes et à raconter dans plus de soixante villes et villages l’histoire de Condorman. Pour ajouter du piquant (et attirer l’attention des médias), ce fou sympathique et deux copains feront le trajet à la course ainsi que l’ascension des six plus hautes montagnes du pays. Le tout en trois mois.

Quel personnage! Ah oui, il partait le lendemain avec son neveu grimper le sommet du Chimborazo, pour la 33e fois.

Adios amigo loco y gracias… Fuimos a la cumbre del Carihuarazo!!!

Yves (et Geneviève)

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