Déjà plus de 24 heures depuis que notre avion a touché le
sol du Rwanda à Kigali. Entre la joie de faire ce grand voyage avec Victor, 20
ans, de revoir ce pays des mille collines et l’appréhension de revisiter les douloureux
souvenirs de la fin de notre séjour ici, avec Geneviève il y a plus de 25 ans,
je ne sais pas encore où je me trouve.
Bien sûr, c’est le bonheur qui l’emporte. La fébrilité de mettre
les pieds à Kigali et la joie de voir Victor admirer cette vie tellement
différente, ici à Kigali, tellement à fleur de peau. Comme à l’époque, ce qui
me frappe à première vue, c’est à quel point tout semble plus vrai ici. La
vie toute nue! Quelques exemples : les couleurs vives des vêtements et des
paysages, les odeurs fortes, les rires, l’effort des uns, la souffrance des
autres. Au bas de l’échelle du confort, celles qui luttent au champ, sous le soleil,
pour nourrir ses enfants à la fin de la journée; l’autre qui monte une longue côte
poussant son vélo chargé de dizaines de kilos de pommes de terre; ce jeune
homme qui vend des souliers dans son stand au marché, et qui finira avec 1000
Francs rwandais (1 USD) de profit à la fin de la journée au marché; ceux qui s’en
sortent un peu mieux je crois, des milliers d’hommes chauffeurs de motos-taxis,
principal moyen de transport public, ici à Kigali; ces petits commerçants qui
ont pignon sur rue dans cette ville qui se transforme à une vitesse folle à
grands gestes de beauté, d’ordre et de sécurité, faisant parait-il de cette capitale la
plus belle des pays de ce continent; tout en au haut de la pyramide, bien moins
nombreux, ceux qui ont étudié et qui ont la chance de travailler dans une de
ces grandes entreprises qui fleurit dans ce Rwanda en pleine croissance
économique; ou finalement ceux, très rares, qui sont dans les cercles diplomatiques
ou internationaux et qu’ont retrouvent attablés notamment au chic hôtel des mille
collines.
Tout est plus vrai donc en Afrique, il me semble. Les
couches de protection qu’on porte dans nos pays, et qui cachent qui nous sommes
au fond vraiment, sont quasi inexistantes ici au Rwanda. Sauf une, celle qui
les protège de continuer à vivre avec les souvenirs et l’horreur de ce génocide
qui a fait près d’un million de morts, la plupart tués à l’arme blanche en
quelques semaines. La même armure qui existait à l’époque et qui cachait la
crainte et parfois la haine de l’autre. De celui ou celle qui n’est pas hutus
ou tutsis et qui a été du mauvais côté du pouvoir ou des guerres fratricides du
passé. C’est l’éléphant dans la pièce, et tous se sont promis de ne pas le regarder,
de ne pas en parler. Le nouveau pouvoir l’interdit. Cette décision du
gouvernement de Kagame était sans doute saine et nécessaire. Pour l’instant, difficile
de ne pas en voir les bienfaits.
Dans ce pays aujourd’hui, la grande majorité de la population
a moins de 25 ans. En fait, 42% de la population a moins de 15 ans! Une génération
a quasi disparu, des millions d’orphelins laissés derrière par cette guerre et
malgré cela, le pays vit en apparence une réelle renaissance. Ce pays file dans
les traces des pays occidentaux et continue de se distancer des autres pays en
développement, empêtrés dans la corruption et les défis de notre siècle. Ici, le
climat est parfait, pas de sécheresse pas de catastrophes écologiques et même s’il
est très enclavé, au centre d’un continent pauvre, le Rwanda est face aux plus
belles perspectives.
Et moi? Ici aujourd’hui. Est-ce la fatigue, le décalage? Ou
encore l’armure de l’homme que je suis, je ne parviens pas à rencontrer l’émotion
que je cherchais à retrouver dans ce pèlerinage. Je demeure touriste pour l’instant.
Demain peut-être? Avant de partir, j’espérais guérir mes petites blessures, toutes
petites en comparaison de celles des rwandais qui ont tant souffert, d’avoir
perdu des amis et quitté le pays bousculé physiquement et psychologiquement par
le début d’une vraie guerre, au précipice de l’horreur. Je garderai les yeux et
le cœur ouverts en espérant y arriver.
Quelques photos du voyage : https://www.instagram.com/ypoire/?hl=fr
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