7 février
Enfin, tu n’es plus que sur une carte, ou dans l’album de Tintin et le temple du Soleil. On est entré chez-toi par le désert. A première vue ton visage est dur. Homme indien, ton sang l’est plus que celui de ton frère au nord. L’océan martèle ton flanc ouest de ses eaux froides. Quelques oasis, quelques vallées vertes dont les racines des rizières plongent jusqu’au passé des plus vielles civilisations précolombiennes. Sur le bord de la panaméricaine, des ruines sèchent encore au soleil leurs larmes fatalistes. Ils sont disparus ces hommes libres; tisseurs de joncs, chercheurs d’or ou tailleurs de pierres. Le seigneur de Sipan, roi des Chimu (300 après JC), lui, vient de se faire dépoussiérer. Il reposait quand on l’a vu dans un des grands musées du monde à Lambayèque près de Chiclayo. Sa pyramide découverte en 1987 ne ressemble plus qu’à un tas de terre. De quel droit a-t-on exposé ses restes, ainsi que ceux des sacrifiés au moment de sa mort? À qui appartiennent ses trésors? Combien les chinois (ces nouveaux riches) t’offrent-ils pour découvrir tes autres trésors enfouis? Pour entretenir Chan Chan, ta cité du soleil où plus de 150 000 personnes ont vécu il y a des milliers d’années?
On a fait quelques sauts dans ton bel océan bleu marin, admirant parfois les « Caballos de totora » (bateaux traditionnels que les pêcheurs enfourchent comme un cheval, tressés de jonc) ou les « surfers » poussés par les plus grandes vagues de gauches(!). Jusqu’à quand se baigneront tes fils remplis de potentiel? Quel horizon leur donnent-ils? En accumulant des kilomètres, s’empilaient aussi des impressions de vide dans ton désert aride. Ces maisons en terre et en pailles, petites boîtes carrées invivables, nous ont piqué les yeux. Aussi, des puits tirant l’or noir que tu revends à près de 4 USD à tes pauvres chauffeurs de taxi. Pas étonnant que tes routes soient aussi belles, qui chez-toi a les moyens de rouler avec sa voiture? Trujillo, jolie ville provinciale et espagnole, notre premier vrai contact avec ton peuple colonisé. La fête des rois, que tu fêtais joyeusement ce soir-là témoignait de ton folklore peu délavé par ces années de dominance. Ces journées et ces décors se sont répétés et répétés jusqu’à Lima.
Lima est loin de ton cœur. Elle s’est construite plus près de ta tête. Impossible que ton cœur ait laissé grandir cette ville artificielle, plus encore que les nôtres. Oasis dans le désert? Tu as raté la chance de construire un autre modèle de cité. Tu avais pourtant tellement de richesses et de modèles dans les racines de ta culture. Comme nous, tu n’as pas compris que le progrès n’est pas un sens unique dans la direction de la commercialisation. Tes « Centro » sont comme nos Club Price; des centres où se pensent riches des consommateurs avertis qui accumulent les biens et augmentent leur taille. Pourquoi est-ce que Mirraflores, ton quartier plus riche, nous a-t-il aimanté? Triste que nous trouvions dans le plus beau (à nos yeux) un sentiment de bien-être. Décidément, notre famille n’est pas sevrée de ses réflexes occidentaux. Victor nous a donc convaincu de manger deux fois au McDo. Les filles ne voulaient plus sortir du Ripley, sorte d’Ailes de la Mode au Pérou. Mathilde a dû glisser cent fois dans les glissades de cet élégant parc de Lima. Est-ce égoïste de penser que tu ne devrais pas copier ces plaisirs?
La hâte que Geneviève et les grandes ont eu de visiter ton aéroport; ils arrivaient enfin… Les grands-parents (Bleau) voyageurs avaient des valises pleines de surprises tricotées par les oncles, les tantes, les cousins, les cousines. De belles retrouvailles pour tous. Tellement de joies pour les enfants. Incroyables ces souvenirs qui allaient se fabriquer dans leur tête. Des grands-parents seulement qu’à eux durant trois semaines. Ton paysage allait être la toile de fond de ces scènes de joie. À huit, bien serrés dans la voiture et tout plein de bagages sur le toit, nous avons repris la route sur ta côte sud. Encore le désert et la mer pour plus de 1000 km. Dans ta réserve de Paracas, nous avons pris la mer et approché tes Îles Ballestas, sanctuaire de millions d’oiseaux, de pingouins, de lions de mer, de phoques. Observé durant cette balade cet immense géoglyphe en forme de chandelier (150m x 50m) tracé par on ne sait qui il y a des centaines d’années. Certains pensent aux pirates qui contrôlaient cette entrée sur tes terres, d’autres relient cette forme aux mystérieuses lignes de Nazca qu’on retrouve deux cents kilomètres plus au sud. Entre temps, nous avons goûté ton vin à Ica, dans une Hacienda (avec Bodega) où la chaleur s’est mise à l’ombre avec nous le temps d’un dîner. Les enfants eux se sont mis à l’eau dans la piscine s’amusant dans les immenses glissades. Peu de gens savent que tu produis du bon vin. Ton pisco, lui est plus connu. Cette boisson forte, à base de canne à sucre, était hier celle des esclaves qui arrivaient d’Afrique pour cultiver tes terres costales autrefois plus riches. Ce jour-là, ton pisco nous l’avons bu dans un apéro appelé « Pisco Sour », mélangé avec de la lime et un blanc d’œuf battu.
Tu es mythique mon vieux. C’est à Nasca qu’on l’a d’abord vu; ces grandes formes tracées il y plus de deux milles ans …
(À suivre) Nous partons luncher dans un café Internet de Huaraz, puis au marché; histoire de prendre nos courriels, de tenter d’enregistrer quelques posts et de créer les albums de photos de décembre et de janvier. On fera attention de ne pas se faire trop arroser d’eau ou de farine. Ici, cette semaine, c’est le carnaval!
Amitiés
Lafamilleenequateurenfugueauperou
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