Mercredi 15 novembre / 7h, Hosteria Alandaluz. Commencera la
plus longue et inoubliable journée du voyage qui allait, dans les faits, se
terminer 48 heures plus tard dans une sorte d’allégresse des hauteurs.
D’abord direction Urbina, chez Rodrigo d’où nous devrons
partir pour une marche longeant le bord d’un canyon entre le timide Carihuarazo
(5,020 mètres) et un Chimborazo qui se cachait derrière des nuages gris et
chargés. Des tentes et un refuge lui appartenant devraint nous y attendre.
Il est tout fier de descendre, rejoindre son comité
d’accueil : Claudia, sa colombienne
préférée; Julio son fidèle complice; Segundo, Nicolas et Camila (deux jeunes
volontaires de passage et en amour) puis trois lamas qui posent pour le décor
et ne cracheront pas sur d’aussi sympathiques invités. Photos obligées.
On savait Rodrigo hyperactif instruit, passionné,
accueillant, mais les preuves allaient continuer à s’accumuler durant cette
heure vécue dans son oasis de montagnes. Tel une sorte de Frédéric Bach, depuis
1998, il entoure son gite pour alpinistes d’un jardin rempli d’orchidées rares,
de plantes toutes indigènes dont certaines sont désormais des arbres plus grands
que cet homme charismatique, à qui c’est pourtant difficile de faire de
l’ombre. Puis là, alors qu’il est désormais végétarien, ce vivier où il abrite
des cochons dindes (« cuyes ») comme à l’époque d’avant les
conquistadors. Et, dans la cours arrière, ces deux maisons ancestrales pour se
rappeler comment vivaient les habitants de la sierra équatorienne. Pour s’en
rappeler tellement, qu’il dort dans une d’elles tous les soirs avec sa douce
conservant le peu d’intimité qu’il lui faut quand les clients débarquent à
Urbina pour la nuit.
Comme le train passe et arrête devant chez-lui dans une
petite gare au toit rouge, il a aussi construit un kiosque et une boutique permettant
aux femmes de la communauté de vendre de l’artisanat. En touriste avisé, Daniel
y trouvera un train miniature pour son fils Laurent.
Chacun a déposé, dans une des chambres à l’intérieur, son équipement
de haute montagne qu’il reprendra au retour de cette journée, mise au programme
pour se reposer avant le grand jour de l’ascension. Nous voilà donc partis vers
une nuit de camping… Rodrigo nous la promet mémorable! François D. et Vlad, de
leurs côté, chuchotent que le mot mémorable peut parfois rimer avec misérable. Allons-nous
être arrosés d’une pluie qui commençait à paraitre synonymes des après-midis
précédents? Montée facile de trois heures à travers des pâturages qui
s’ambitionnent jusqu’à atteindre les 4,000 mètres d’altitude. En route,
Geneviève et Annie doivent décider si elle bifurqueront demain vers une autre
ascension que celle du Chimborazo. Elle posent les questions difficiles à
Rodrigo. Toutes les deux ont des vertiges à gérer. Sans doute autant que les
hommes du groupes, mais ces derniers préfèrent penser que tout ira bien sans
qu’on en parle. Elles se convainquent de
leur chances et signent une sorte de pacte de complicité. Elle suivront le
groupe. L’opportunité de mettre les pieds sur le glacier du Chimborazo étant
trop excitante.
Le groupe est joyeux et monte sans difficulté finissant par
atteindre Urku Wasi, le futur paradis de Rodrigo. Là, où il
construit à temps perdu sa prochaine maison sur un bout de terre juché à 4,300
mètres sur la flanc de son inséparable volcan. Son but étant d’y retrouver pour
lui et ses clients la tranquillité qui régnait à Urbina il y vingt ans avant
que le coin se développe et que soit remis en service le train qui va et viens
entre Quito et Guayaquil. Le soleil apparait quelques minutes, comme pour nous
souhaiter la bienvenue. Et puis le froid et les nuages reprennent rapidement
leurs droits. Les tentes sont déjà montées. François, Annie et Jean dormiront
dans le refuge qui peut abriter jusqu’à cinq personnes à l’étage. Les autres
sélectionnent leur tente continuant à philosopher sur les divers sens possibles
du mot mémorable. Comment se plaindre quand tout ce qu’il faut pour la nuit
(sac de couchage, vêtements, nourriture, etc.) a été monté par l’équipe de
Rodrigo. La pluie arrive et tombe comme le doute sur la pertinence de cette
idée : Dormir en camping la veille de la journée!?!
Il fait chaud dans le gite et le repas trois-services est
prêt dès qu’on s’assoit. Il fait encore plus chaud à l’intérieur et il pleut toujours
à l’extérieur. Que faire, aller dormir ou passer le temps en bonne compagnie.
C’est l’heure de la boulette! Cette phrase suffira j’espère à rappeler les éclats
de rire entendus durant cette heure : Nana
Mouskouri atteindra peut-être l’éternité grâce au piolet de la Condamine, sans
rougeur à l’articulation, croisant sur son passage quelques vigognes et deux
lamas.
Certains, dont un fils unique notoire, préfèreront passer le
reste de l’après-midi à observer le tout de leur tente en comptant les heures
qui restent avant la nuit appréhendée. D’autres placoterons ou, plutôt,
écouterons Nicolas philosopher à propos de sa vie. Se pouvait-il qu’il y ait quelqu’un de plus verbomoteur
que Rodrigo?
Après les guimauves et le feu de camp, la nuit passera sans
que personne ne fasse le plein du repos qu’il lui aurait fallu. Mais quel
réveil! Un soleil et un Chimborazo au sommet dégagé en prime. Les yeux plissés,
le décors de la carte postale qui touche presque à la beauté de la montagne.
Pour ma part, je comprends que le vertige ne se manifeste pas seulement en
regardant vers le bas. Dans quoi aies-je embarqué la gang? Je crains que nous
ne soyons pas de taille pour ce défi.