12.12.17

Vers le Chimborazo J+6

Mercredi 15 novembre / 7h, Hosteria Alandaluz. Commencera la plus longue et inoubliable journée du voyage qui allait, dans les faits, se terminer 48 heures plus tard dans une sorte d’allégresse des hauteurs.

D’abord direction Urbina, chez Rodrigo d’où nous devrons partir pour une marche longeant le bord d’un canyon entre le timide Carihuarazo (5,020 mètres) et un Chimborazo qui se cachait derrière des nuages gris et chargés. Des tentes et un refuge lui appartenant devraint nous y attendre.

Il est tout fier de descendre, rejoindre son comité d’accueil :  Claudia, sa colombienne préférée; Julio son fidèle complice; Segundo, Nicolas et Camila (deux jeunes volontaires de passage et en amour) puis trois lamas qui posent pour le décor et ne cracheront pas sur d’aussi sympathiques invités. Photos obligées.

On savait Rodrigo hyperactif instruit, passionné, accueillant, mais les preuves allaient continuer à s’accumuler durant cette heure vécue dans son oasis de montagnes. Tel une sorte de Frédéric Bach, depuis 1998, il entoure son gite pour alpinistes d’un jardin rempli d’orchidées rares, de plantes toutes indigènes dont certaines sont désormais des arbres plus grands que cet homme charismatique, à qui c’est pourtant difficile de faire de l’ombre. Puis là, alors qu’il est désormais végétarien, ce vivier où il abrite des cochons dindes (« cuyes ») comme à l’époque d’avant les conquistadors. Et, dans la cours arrière, ces deux maisons ancestrales pour se rappeler comment vivaient les habitants de la sierra équatorienne. Pour s’en rappeler tellement, qu’il dort dans une d’elles tous les soirs avec sa douce conservant le peu d’intimité qu’il lui faut quand les clients débarquent à Urbina pour la nuit.

Comme le train passe et arrête devant chez-lui dans une petite gare au toit rouge, il a aussi construit un kiosque et une boutique permettant aux femmes de la communauté de vendre de l’artisanat. En touriste avisé, Daniel y trouvera un train miniature pour son fils Laurent.

Chacun a déposé, dans une des chambres à l’intérieur, son équipement de haute montagne qu’il reprendra au retour de cette journée, mise au programme pour se reposer avant le grand jour de l’ascension. Nous voilà donc partis vers une nuit de camping… Rodrigo nous la promet mémorable! François D. et Vlad, de leurs côté, chuchotent que le mot mémorable peut parfois rimer avec misérable. Allons-nous être arrosés d’une pluie qui commençait à paraitre synonymes des après-midis précédents? Montée facile de trois heures à travers des pâturages qui s’ambitionnent jusqu’à atteindre les 4,000 mètres d’altitude. En route, Geneviève et Annie doivent décider si elle bifurqueront demain vers une autre ascension que celle du Chimborazo. Elle posent les questions difficiles à Rodrigo. Toutes les deux ont des vertiges à gérer. Sans doute autant que les hommes du groupes, mais ces derniers préfèrent penser que tout ira bien sans qu’on en parle.  Elles se convainquent de leur chances et signent une sorte de pacte de complicité. Elle suivront le groupe. L’opportunité de mettre les pieds sur le glacier du Chimborazo étant trop excitante.

Le groupe est joyeux et monte sans difficulté finissant par atteindre Urku Wasi, le futur paradis de Rodrigo. Là, où il construit à temps perdu sa prochaine maison sur un bout de terre juché à 4,300 mètres sur la flanc de son inséparable volcan. Son but étant d’y retrouver pour lui et ses clients la tranquillité qui régnait à Urbina il y vingt ans avant que le coin se développe et que soit remis en service le train qui va et viens entre Quito et Guayaquil. Le soleil apparait quelques minutes, comme pour nous souhaiter la bienvenue. Et puis le froid et les nuages reprennent rapidement leurs droits. Les tentes sont déjà montées. François, Annie et Jean dormiront dans le refuge qui peut abriter jusqu’à cinq personnes à l’étage. Les autres sélectionnent leur tente continuant à philosopher sur les divers sens possibles du mot mémorable. Comment se plaindre quand tout ce qu’il faut pour la nuit (sac de couchage, vêtements, nourriture, etc.) a été monté par l’équipe de Rodrigo. La pluie arrive et tombe comme le doute sur la pertinence de cette idée : Dormir en camping la veille de la journée!?!

Il fait chaud dans le gite et le repas trois-services est prêt dès qu’on s’assoit. Il fait encore plus chaud à l’intérieur et il pleut toujours à l’extérieur. Que faire, aller dormir ou passer le temps en bonne compagnie. C’est l’heure de la boulette! Cette phrase suffira j’espère à rappeler les éclats de rire entendus durant cette heure : Nana Mouskouri atteindra peut-être l’éternité grâce au piolet de la Condamine, sans rougeur à l’articulation, croisant sur son passage quelques vigognes et deux lamas.

Certains, dont un fils unique notoire, préfèreront passer le reste de l’après-midi à observer le tout de leur tente en comptant les heures qui restent avant la nuit appréhendée. D’autres placoterons ou, plutôt, écouterons Nicolas philosopher à propos de sa vie.  Se pouvait-il qu’il y ait quelqu’un de plus verbomoteur que Rodrigo?


Après les guimauves et le feu de camp, la nuit passera sans que personne ne fasse le plein du repos qu’il lui aurait fallu. Mais quel réveil! Un soleil et un Chimborazo au sommet dégagé en prime. Les yeux plissés, le décors de la carte postale qui touche presque à la beauté de la montagne. Pour ma part, je comprends que le vertige ne se manifeste pas seulement en regardant vers le bas. Dans quoi aies-je embarqué la gang? Je crains que nous ne soyons pas de taille pour ce défi.

Vers le Chimborazo J+4

Vers le Chimborazo J+4

Lundi, 13 novembre/16h. Bernardo, notre chauffeur, est bien réveillé. Notre autobus file sur la panaméricaine et nous approchons de Latacunga; mi-chemin entre Quito et Riobamba. Destination, l’Hacienda Alandaluz où nous dormirons pour les deux prochaines nuits. Personne n’est fâché de ces deux heures et demie de repos dans l’autobus de la communauté de Quatro Esquina dans la province du Chimborazo. La journée a été magique et les jambes du groupe sont un peu lourdes.

Quatro Esquina est isolée en montagne. Elle est située à plus de 3500 mètres d’altitude. Habituellement, notre autobus sert au transport d’enfants ou à divers déplacement utiles pour les quelques dizaines d’habitants de ce village andin. Ce sympathique bus de 20 places est le produit d’un don d’une ONG qui souhaitait permettre à cette communauté de profiter des revenus du tourisme (Cinquième source de revenus du Pays après l’exportation du pétrole, des bananes, des fruits de mer et des fleurs). Rodrigo l’utilise lorsqu’il doit transporter des groupes de touristes, offrant ainsi la possibilité à la communauté de générer des revenus importants. On se trouve tous chanceux, je crois, d’être transporté ainsi et d’être en contact avec ces gens-là. Il me semble qu’on peut parler, ici, de vrai tourisme équitable.

Rodrigo a l’énergie de tous les instants. À l’avant du bus, il enfile les appels pour organiser les repas du midi et ceux des quelques soirs qui viennent. Il vient tout juste de demander à Claudia, sa femme, de se tenir prête à recevoir une liste de matériel d’alpinisme qu’il faudra rassembler avant notre ascension jeudi (piolets, crampons, frontales, tentes, etc.) pour ceux à qui il en manque (lisez ici, tous sauf François D qui a pris ce voyage avec le plus grand sérieux).  Au fur et à mesure que le jour et l’heure approche, on se convainc, peu à peu, que cette aventure est peut-être réalisable.

Aujourd’hui, la vie en Équateur nous a fait le cadeau d’une rencontre magique avec le deuxième plus haut volcan au monde, le Cotopaxi. À peine passés les portes de l’entrée du parc national de Cotopaxi, un tout petit coin du ciel s’est ouvert, juste pour nous, découvrant le cône parfait de cette célèbre montagne qui culmine à près de 6000 mètres. Le bus devait se hisser doucement jusqu’au stationnement à une altitude de 4500 mètres. Une fois rendus, constater les sourires dans les visages des amis de ce voyage valaient tous les doutes et le travail liés à l’organisation de cette aventure. Comment cette randonnée pouvait elle être aussi incroyable que celle d’hier jusqu’au sommet du Pasachoa?

Tous un peu nerveux, nous enfilons enfin les bottes et les quelques couches de vêtements qu’on a tous soigneusement choisis pour braver le vent et le froid des montagnes de ce calibre. Deuxième randonnée d’acclimatation en deux jours. Et le soleil qui confirme sa complicité. Nous marcherons en file indienne derrière la gentille Marina, notre guide pour la journée. Ici, dans ce parc, la communauté indigène réclame et affirme ses droits de plus en plus, par exemple cette obligation d’employer un guide de la communauté pour qui veut partir en expédition dans les sentiers tracés par leurs ancêtres.

Notre but est d’approcher les 5000 mètres afin de s’acclimater davantage à ces hauteurs. À 4800 mètres se trouve un refuge bâti par les jésuites il y a quelques siècles. Ce dernier sert de camp de base aux grimpeurs qui veulent se mesurer au sommet du Cotopaxi. Autant à des passionnés qu’à des illuminés comme nous! En longeant des sentiers en zigzag on se retrouvent tous, après environ une heure de marche au refuge à 4863 mètres. À l’unanimité la bande veux franchir le seuil des 5,000 mètres et rejoindre la frange du glacier. Une autre demie heure d’un effort moins important qu’appréhendé, mission accomplie, nous voilà en pleine session de photos d’un groupe d’amis on ne peut plus beaux et fiers. Chacun à son rythme, s’est surpris et rassuré, sans doute, sur sa capacité à monter aussi haut. Remerciement à Jean-Pierre et à Ginette pour l‘inspiration, « Un peu plus haut, un plus loin, je veux aller encore plus loin... », la chanson fredonnée dans la montée par ma courageuse blonde nous est restée en tête jusqu’à la fin de la randonnée. Et voilà, vers 15h, c’est l’heure d’un copieux repas. À l’auberge Tombopaxi qui sert de point de chute à ceux qui, comme nous, courtisent le sommet de ce volcan, située à deux pas du divin.

On approche maintenant de l’auberge où Simon Bolivar a séjourné quelques siècles avant nous. On croisera dans quelques minutes Urbina.  Rodrigo se retournera vers nous y allant d’un autre généreux commentaire témoignant de l’amour qu’il porte à sa terre et à ses compatriotes.

Journée bien remplie encore une fois. Tellement qu’on en oublie presque le crochet qu’on a fait tôt ce matin pour visiter une entreprise de production de roses qui exporte des centaines de milliers de roses chaque mois vers les États-Unis (80%),  la Russie et le reste du monde. Oui à nous aussi, qui offrons des fleurs en oubliant souvent les femmes et les hommes qui travaillent dur dans des conditions difficiles pour permettre ces gestes romantiques.

Et parlant de conditions difficiles, tous ces kilomètres de panaméricaine à observer ce peuple qui travaille fort. Ces gens qui aspirent à une vie semblable à la nôtre. Y parviendront-ils? Me revoilà à Pascuales en pensées. Content d’être dans ce bus entouré d’un si bon groupe; de savoir qu’ensemble, on a convaincu des dizaines de québécois et de canadiens d’appuyer cette levée de fonds, comme une sorte de main tendue.

Vers le Chimborazo J+1

Vendredi 10 novembre 2017, 8h10 heure de Montréal… Difficile de croire que nous sommes dans l’avion; vol CM 453 en direction de Panama City. Moi, trop souvent velléitaire, je ressens une petite fierté d’avoir mené ce projet jusqu’à la porte d’embarquement.

Partir, dans le cadre d’une levée de fonds au profit de la Fondation pour les enfants de l’Équateur. Tenter de rejoindre le sommet du Chimborazo, la mère-montagne de ce petit pays coincé entre la Colombie, le Brésil et le Pérou.  Partir à l’aventure en amassant des fonds au profit de cette minuscule cause québécoise qui soutient une mission précieuse pour la communauté pauvre de Pascuales, autrefois rurale, désormais quasi sans abri et agglomérée à la grande ville de Guayaquil.

Partir en groupe surtout, avec une bande aussi naïve que sympathique. Neuf apprentis alpinistes fébriles en ce jour du grand départ. Tous ont un peu la chienne

D’abord ma super blonde endormie à côté de moi. Celle qui ne dira jamais non à l’idée de voyager hors des sentiers battus. Celle dont le cœur balance ce matin entre le plaisir de l’aventure et l’hélas de laisser derrière les enfants. Jusqu’où ira t-elle dans cette folie? Pas au-delà de sa sagesse yogique.

Ensuite Annie et François. Ils nous rejoindront à Quito en fin de soirée au Café Cultura dans le quartier Mariscal Sucre, repère d’aventuriers gringos. Depuis le début, ils sont partants. Sans eux ce voyage n’aurait pas eu lieu. Pour croire à ce projet, il fallait que d’autres embarquent. Ces deux-là étaient enthousiastes dès l’an dernier quand j’évoquais déjà l’idée. Des amis comme eux, ça n’a pas de prix! Hier soir au téléphone, dans la voix d’Annie, impossible de ne pas entendre le bonheur des départs. Merci François de coincer cette aventure entre de gros dossiers au boulot.

Vlad, mon ami et associé. Pour lui, cette aventure n’est pas tout à fait un rôle de composition ;-).  Nouvellement athlète, il est désormais bien connu au marché central. « Oui Monsieur Stesin, encore une fois bienvenu chez MEC. Oui, oui on sait bien… le Chimborazo, oui 6,300 mètres, un glacier et tout. Vous cherchez quoi cette fois-ci? Des crampons pour vos bottes d’alpinistes? Avez-vous testé vos bâtons de randonnée avec ressort? Votre frontale est-elle adéquate?». Très content qu’il ait accepté dans un élan d’enthousiasme d’être encore une fois le meilleur partenaire qu’un gars puisse avoir quand il veut réussir! Il est assis derrière, dans le fond de l’avion. Difficile de prédire le bilan qu’il fera de cette aventure en marge de sa vie généralement plus urbaine et numérique. Il sera l’œil du photographe.

Quelque part aussi dans l’avion, François D., que je connaissais à peine, il y a six mois. Ce père de famille collectionne les voyages d’aventure. Il a je crois son Wall of Fame et il compte bien, s’il rejoint le sommet du point le plus éloigné du centre de la terre, y clouer ses bottes à côté de son désormais célèbre piolet. Connaissez-vous bien du monde qui ont un piolet à la maison? Lui, c’est en Autriche, lors d’un récent voyage de vélo qu’il s’est fait connaître par une certaine Heidi qui lui a vendu (à bon prix croit-il) tout un beau kit d’alpiniste de marque Mammut. François ne part pas à l’aventure sans le style! Sur-entraîné disait-il il y a quelques semaines. Il sera, sans conteste, notre premier de cordée.

Daniel est parti de Toronto ce matin et nous rejoindra à Panama City avant de prendre le prochain vol pour Quito avec nous.  À peine suite à quelques conversations téléphoniques et un ou deux courriels rigolos, je savais que ce chum d’enfance de François D. serait une belle addition au groupe. Lui aussi a l’air d’aimer l’aventure. En « shape » aussi. L’homme vient de faire un demi marathon il y a moins d’un mois. En deux temps trois mouvements, il a mis ses bottes de marche, direction l’Équateur. Bien hâte de te connaître davantage mon cher!

 Maintenant Jean. La probabilité, il y a à peine un mois, qu’il se joigne à nous était quasi nulle! Jean est médecin, le mien. Vlad, un peu nerveux avant le périple souhaitant vérifier son état physique, l’a rencontré suivant mes conseils. Et comme ça, Jean, c’est le genre de gars avec qui c’est facile de se faire ami (pas du type médecin distant), les voilà qu’ils parlent et Vlad qui l’invite à tout hasard. Départ dans trois semaines. Assez improbable, d’accord? Et bien quelques heures plus tard Jean m’écrivait avec questions timides. Quel joie de savoir qu’il quittera Boston (où il vit) demain pour nous rejoindre à Quito demain soir. Un médecin, un entrepreneur aussi, qui vit et travaille aux pays de Donald mais qui pratique à Montréal, intriguant n’est-ce pas? Comme nous tous, Jean sera à l’extérieur de sa zone de confort dans ces randonnées andines sur les montagnes équatoriennes.

Finalement André, amateur de nature et de plein air. Lui aussi a été emballé la première fois que je lui ai parlé de l’idée de ce voyage. André est directeur à Montréal de la Fondation pour les enfants de l’Équateur (FEE).  Ce gars-là n’est pas le genre à travailler que pour l’argent ou la gloire. Ses valeurs et son intégrité en font de lui un atout incroyable pour notre petite Fondation. Il est à Quito depuis plus d’une semaine. Il partait en éclaireur attacher tous les fils dont sera cousu ce voyage. Bien en avance sur nous du point de vue de l’acclimatation (Quito est située à près de 3,000 mètres au dessus du niveau de la mer). Très efficace et désormais complice de Rodrigo (probablement le meilleur alpiniste de son pays, mon ami et notre guide) dont on parlera plus loin, André nous attendra à l’aéroport de Quito avec l’autobus du groupe pour les 10 jours de notre séjour.

Voilà c’est parti! Je tenterai d’écrire quelques mots chaque jour, histoire de documenter ce voyage hors de l’ordinaire pour une bande d’athlètes aspirants amateurs en quête de dépaysement. Cette bande à qui je dois un gros merci d’avoir chacun aider à accomplir le défi de cette collecte de fonds au profit d’une communauté de femmes et d’enfants qui en ont grand besoin et qui seront d’une grande reconnaissance.

Merci infiniment à tous nos donateurs. Merci aussi à nos commanditaires : mon chum Patrice chez BLG, Andrew de PWC, Michel de Fasken, Pascal d’Anjinnov, Charles de Fiera et Leslie pour l’Hotel Fermont. Je crois qu’on frôlera à la fin notre objectif d’avoir amassé $50,000 en cette année du 15ieme anniversaire de la FEE.

Et oui, ce serait facile de se perdre dans l’aventure. 10 jours exaltants. N’y voir que de grands paysages, de belles rencontres et accumuler des données d’altitude. Je nous souhaite de se rappeler que notre voyage est avant tout un geste de solidarité envers les femmes et les enfants de Pascuales. Un hommage à leur courage de vivre chaque jour dans l’adversité d’un monde injuste, du mauvais côté du mur qu’on ne veut pas toujours voir.