C’est grâce aux Sœurs de la miséricorde si nous avons aujourd’hui des visas de volontaires valides en Équateur. Sans ces papiers, il aurait été compliqué de séjourner dans ce pays pour plus de trois mois. En septembre dernier à Montréal, on s’était vu quelques fois, rue St-Hubert, le temps de se connaître un peu, de s’expliquer nos projets respectifs. Le leur est celui de quatre femmes un peu folles (aujourd’hui on peut le dire) et dans la soixantaine avancée qui ont décidé un bon matin, il y aura dix ans bientôt, d’occuper leur retraite et de fonder en Équateur, un centre pour femmes et une garderie; plus précisément à Pascuales dans un quartier pauvre de Guayaquil. Quant à nous, on cherchait à trouver une âme pour un grand voyage qu’on allait s’offrir… De Montréal, on s’était laissé sans promesse de part ou d’autre… A priori, ce n’était pas évident pour elles de penser accueillir une famille de six (dont quatre jeunes enfants) durant à peine deux mois et de penser que cela pouvait vraiment aider! De notre côté, nous avions de forts doutes sur la faisabilité d’une expérience de travail avec quatre accaparent petits rejetons dans les pattes. La dernière chose qu’on souhaitait, c’était de recréer le modèle où papa part au travail le matin, laissant à maman la charge familiale. On voulait bien que les filles fassent quelques mois d´école en Amérique latine, mais, était-ce vraiment réaliste? Comment allions-nous faire pour s’installer dans une ville aussi grande? Était-ce ce que nous cherchions? Quoiqu’il en soit, leur folie, couplée à la nôtre, nous a conduit dans coin du monde qu’on n’oubliera jamais.
Quelques mots d’abord sur Guayaquil, cette grosse bonne femme qui est toujours en sueur. Elle est brute et parle trop fort. Bien sûr, elle n’a plus la taille ni la beauté de sa jeunesse, c’est pourtant elle qui tient la maison et qui met le pain sur la table dans ce pays. Dans les montages et à Quito plus particulièrement, c’est la mal aimée! On dit qu’elle est vulgaire et inculte. Tiens, je me rappelle d’une formule qu’avait employée Foglia, il y a longtemps, dans une chronique pour exprimer toute la condescendance des habitants du nord de l’Italie envers ceux du sud, de la Sicile notamment : « Les italiens du sud ont le cul plus bas que leurs voisins du Nord » disait-il! Ici c’est pareil, les bons créoles habitant la Sierra et les nobles indiens au Poncho sur leurs montagnes (même les agences de coopération internationale) regardent de bien haut ceux qui transpirent sur la côte.
Guayaquil compte près de trois millions d’habitants. Elle est effectivement dangereuse et pleine d’injustices (près d’une centaine d’assauts à mains armées durant le mois d’avril) Heureusement, on y aura vécu deux mois dans le quartier de la Kennedy Norte sans grandes mésaventures, y vivant même un coup d’état qui n’était pas, celui-là, un poisson d’avril! On aura aussi eu le bonheur de s’enfuir à la mer quelques week-ends (Playa, Puerto Lopez, Alandaluz), de déjeuner souvent au délicieux café de l’hôtel Oro Verde, d’entendre un magnifique concert de guitare classique, de se voisiner avec des gens gentils, de passer de nombreuses heures au Malecon dans une des plus sympathique place publique au Monde. L’obligation aussi de transiger dans les rues avec les mille petits métiers; les vendeurs de cartes d’appel déguisés en personnel de F1, les vendeurs d’eau ou de limonade à vélo, les camelots, ceux qui doublent les clés, les autres qui vendent des agendas cette semaine alors qu’ils vendaient des tue-mouches la semaine dernière et finalement, le devoir de transiger avec ceux qui vendrait leur sort... Ah oui oubliais, la joie de célébrer avec les équatoriens trois victoires de leur équipe nationale contre le Brésil, le Pérou et le Paraguay, les rapprochant ainsi d’une participation si importante pour leur identité au Mondial 2006 en Allemagne. Par dessus tout, on aura pris le temps d’observer et de vraiment sentir le pouls d’un autre peuple.
Pascuales, elle, se lève tôt tous les matins. Il fait trop chaud pour y flâner au lit, trop chaud pour se lever d’ailleurs! Avril, c’est le fort mois de la pluie. Les rues et les terrains sont souvent inondés. C’est aussi la saison des grippes, du paludisme… Il y a eu cette saison plusieurs centaines de cas de dengue dont au moins une dizaine hémorragique (mortelle). On aura même eu peur pour notre grande Marie durant quelques jours. Fausse alerte heureusement!
C’est donc dans cette ville qu’on aura trouvé l’âme de notre voyage. Dans la marge d’un projet qu’on aura aidé à lancer; dans les rues qu’on aura marché pour y acheter ce qu’il fallait pour le projet (terre, bambous, outils, etc.), en traversant la vie de personnes qui ne l’ont pas facile. On aura eu la chance de pénétrer leur chez-soi en installant des jardins dans leur cour arrière, avec entre les jambes les poules, les chiens et les chats. De leur côté, les filles rapporteront aussi de précieux souvenir de l’école de ce village. Elles y seront entrées un peu à reculons au début. Mais, il fallait les voir danser le jour du départ durant la petite fête, organisée par leur enseignante en leur honneur, pour se rendre compte qu’on venait de réussir un volet important de notre voyage. Il n’y avait pas que les petites latino-américaines qui pleuraient à l’idée de se séparer peut-être pour toujours. Durant cette période, Victor et Mathilde auront également été aimés et dorlotés par des femmes aussi différentes et généreuses. Quels souvenirs conserveront-ils de ce passage en terre étrangère? On dit que l’odorat a une longue mémoire; leur petit nez, qui le plus souvent coulait, aura fouillé dans les coins les plus précieux.
Nous quitterons bientôt ce pays avec beaucoup de souvenirs heureux, avec un brin de tristesse aussi. Nous nous souviendrons d’un coin de terre d’une richesse et d’une diversité incroyable. Nous garderons encore trop de pourquoi quant aux causes de cette situation si difficile pour ses habitants. Notre choix d’élire l’Équateur comme pays principal de notre aventure aura été heureux; son climat, sa taille saisissable, ses habitants généreux nous auront permis comprendre un peu mieux notre monde et nos frères qui y habitent.
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