Tous les jours je vous parle et vous écris en pensée, vous racontant ce que l’on voit, entend et perçoit. Mais voilà bien peu se rend jusqu’à vous. Le temps! Ce fichu temps qui inhibe même et surtout nos bonnes intentions.
Quelques paragraphes pour vous parler de ce mois d’avril et pourtant, tant resterait à dire.
Première semaine d’avrilCe fut une grosse semaine remplie d’émotions et de grosses gouttes de sueur. Ici on côtoie la chaleur, de 36 à 40 degrés, ensoleillé ou nuageux peu importe il fait toujours chaud! Seule la pluie réussit à influencer le thermomètre, alors on la célèbre quand elle vient. Mais pas partout car des inondations détruisent des demeures, des écoles, des villages, et des routes plus au nord (Manabi).
Lundi dernier, était jour d’entrée scolaire dans les villes côtières du pays. Tout comme chez nous, la frénésie de ce jour spécial animait enfants, parents et professeurs. Pascuales, la ville où nous travaillons avec les sœurs de la Miséricorde ne faisait pas exception. L’école San Juan Batista recevait ses petits et grands. L’accueil se faisait à l’extérieur dans la cour. Les enfants, tous en uniforme placés en rang et entourés des parents écoutaient respectueusement le mot d’entrée de la directrice, Senora Norma, même malgré la pluie, un évanouissement et les pleurs de Florence. Après le chant national, les enfants sont entrés dans leur petite classe sombre. Seule la peau et les cheveux pâles des deux petites canadiennes démarquaient des groupes uniformes. Elles portaient aussi le costume; chemise blanche et jupe à carreaux.
Le ciment fissuré, le toit de tôle à plusieurs endroits percés, le tableau défraîchi et les petits pupitres doubles en bois qui portaient les traces des anciens recevaient malgré tout joyeusement leurs protégés. D’un côté, le mur ajouré en guise de fenêtres où le bruit des véhicules de la rue éteignait la voix du professeur et des élèves qui tentaient de se présenter. Florence et Marie sur le même banc, dépassaient d’une tête ou deux les compagnes et compagnons de la classe de quatrième année. Rosa Maria, l’enseignante, une gentille dame menue et dynamique égayait les élèves par des chants et des jeux. Tous souriaient même Florence. Il était donc temps pour moi de les laisser entre bonnes mains.
Sur le petit chemin de terre, j’ai croisé Sœur Céline qui travaille au dispensaire avec une femme médecin, puis Robert le chauffeur et l’homme à tout faire du centre des femmes Madre Rosalia dans la camionnette rouge qui m’a emmenée au centre. On entendait encore les pleurs de Mathilde à la petite école. Tous les matins pourtant elle demande à voir ses amis. Mais une fois rendue elle aimerait reculer et rester blottie dans nos bras. Son petit chat gris et son biberon l’aident à traverser la porte. Les monitrices sont si gentilles. Elles la câlinent et la chouchoutent!
Victor lui rentre confiant et retrouve son groupe. Son copain à lui c’est Bryan qu’il a longtemps appelé « celui qui rit toujours » puis Piaya jusqu’à ce qu’on s’informe de la vraie identité du petit bonhomme aux sourires. A la maison, il chantonne souvent les chansons de la petite école et alors Mathilde le suit dans ce dialecte qu’eux seuls comprennent. Ils sont complices et rieurs.
Yves et moi, s’attablons avec Jacqueline et Wilma pour poursuivre la planification et toute la paperasse pour mettre en œuvre le projet de jardins en boîte. Elles aiment moins! Une fois dehors les deux mains dans la terre ou à scier le bambou elles sont rieuses et plus décontractes malgré la sueur qui transperce nos vêtements.
A côté du centre, on vient d`acquérir un petit terrain et une maisonnette de briques, ce qui deviendra le patio modèle. Vite tout se met en branle, la main d’œuvre ne manque pas, pour « reniper » ce lopin de terre piteux; trois camions de terre et de roches, clôture de bambou, jardins en boîte, semis, arbustes, peinture de la maison et décoration par des dessins d’enfants.
Le projet pilote est en branle. On ira installer les jardins dans les semaines prochaines, mais avant quelques rencontres sont fixées pour sensibiliser les femmes et donner l’information nécessaire.
Puis c’est le retour à la maison dans cette chaleur accablante. Après le dîner, l’école se poursuit cette fois en français. Ça fait de longues journées! Mais quand on n’est pas trop claqués, il y a un parc pas loin que les enfants aiment bien pour jouer au foot, pousser les balançoires, tenir les petits singes aux bras tendus aux échelles et profiter des fins de journées équatoriennes avec les autres parents et petits copains.
Seconde semaine d’avrilSemaine de haute fièvre pour tous les enfants Poiré-Bleau, un à la suite de l’autre. Déjà qu’il fait chaud, le thermomètre monte plus rapidement. Ici les fièvres ne sont pas prises à la légère surtout que de nombreux cas de dengue ont été rapportés dans la région ces dernières semaines. Le médecin de Pascuales a vu les enfants et des examens sanguins ont été faits, rien à signaler pour l’instant! Que deux plus petites journées sans école espagnole. Florence s’en réjouit malgré ses joues rouges et petits yeux vitreux.
Le virus a vite passé et les disputes entre frèrot et soeurettes ont vite repris! La vie de famille bien dynamique, quoi!
Et tout reprend son cours normal. Départ précipité de la maison tôt le matin avec les trop nombreux sacs et toutous. Puis on compte une demie heure pour se rendre à Pascuales croisant ces énormes centres d’achat chics et de bon goût, ces hauts édifices, ces chauffeurs dangereux, ces quêteurs et vendeurs au coin des rues, puis enfin la simplicité du pueblo de Pascuales nous ouvre son chemin de terre et les gens qui le bordent nous permettent de laisser sortir un dernier soupir de stress.
Toutefois la pauvreté des gens d’ici, leurs petites maisons de bambou nichées et leurs chemins inondés d’eau et de boue nous laissent pensifs, questionnés et si découragés pour eux. Tant d’injustices se côtoient à si peu de km de distance. C’est bien à Guayaquil qu’on l’aura le plus ressentie et perçue, cette injustice sociale. On comprend presque les gens de baisser les bras et d’attendre…
Le temps passe si vite… fin avrilLes quinze familles du projet pilote ont déjà leur jardin en bambou installé. C’est vraiment un procédé génial. En moins de quinze minutes, à quatre on montait la boîte de bambou déjà taillé à l’avance, qu’importe le lieu ; dans un poulailler (les poules étant gardées à l’extérieur), entre un palmier et un bananier, à travers les petites culottes et soutien-gorge de madame, et toute la brassée encore dégoulinante étalée sur de la broche), sur des briques et même dans de la merde à chien (Yves vous en parlera!). On a ainsi visité plusieurs quartiers de Pascuales. La pauvreté et le sourire des gens s’y mêlaient. Les rues boueuses, les vidanges étalées, les chiens partout et toutes ces joyeuses cordes à linge meublaient le décor de nos matinées.
De retour, les pinceaux devenaient alors mes outils de travail afin de réaliser les murales du patio modèle. Puis, assise avec les femmes, on remplissait de petits sacs pour les semis et on placotait. Plus on s’approche d’eux et plus on touche de près à leurs blessures et leurs cicatrices. Ainsi encore plus d’injustice, d’inégalité, de désespoir, de trahison et d’autres blessures m’étaient contés.
A l’école, Marie et Florence sont heureuses. Elles ont leurs copines qui les attendent pour sauter à la corde et leurs cahiers déjà bien remplis, n’ayant pas de livre tout doit être écrit.
Les petits aussi rentrent et s’amusent avec leurs copains et les maigres jouets effilochés. Ils chantonnent beaucoup. C’est joyeux de les voir à la queue leu leu, deux petits blonds dans un petit train tout noir grouillant de vie.
Et comme tout allait si bien, le temps du départ nous surprend tous. Les aurevoirs se font joyeux et tristes à la fois. Ma Marie entourée de cinq copines suspendues à elle pleuraient toutes comme des Madeleine. Florence si heureuse de son nouveau chandail de l’Équateur offert gentiment par la directrice se contente d’accolades amicales. Ils leurs ont fait une fête d’adieu. Tous dansaient avec la grosse chique de gomme à la bouche ou le suçon coloré. Garçons et filles sont vraiment doués à la danse. Ainsi les rires et les taquineries complices avaient devancé les larmes d’adieu.
A la petite garderie, les enfants ont fait une petite représentation de comptines et de chansonnettes. Des cartes, des câlins, des photos et tout plein de bisous humides.
Puis ce fut le grand repas d’adieu avec les religieuses et les employés. Sœur Jeannine nous avait concocté avec Cointa un formidable buffet aux accents québécois. Les enfants ont chanté "Andar con migo" de Julieta Venega, une mexicaine, même la Mathilde chantait! Puis se fut à notre tour de rendre notre petit discours espagnol après celui si chaleureux de Sœur jeannine. Puis ce fut un au revoir moins tristounet cette fois car on savait qu’on se reverrait après notre expédition des Galápagos.
Demeurait un étrange sentiment d’abandon. On laissait des gens, des amis dans des situations difficiles, dans toute cette vulnérabilité qui les habitait, dans toute cette injustice et ce désordre social … Un peu comme lors du départ brusqué du Rwanda, moins tragique bien sûr, mais avec la même impression de lâcheté et d’impuissance.
Les conditions difficiles de leur système d’éducation m’ont vraiment préoccupée durant ce séjour en Équateur. Tout en comprenant qu’il devrait être le cheval de bataille des prochains gouvernements, j’ai demandé à Sœur Jeannine s’il y avait un moyen d’aider dans ce sens. Elles organisent déjà un projet de parrainage scolaire, de la petite école à l’université. Elles ont une banque de nom de jeunes défavorisés qui sans bourse d’études ne peuvent aller à l’école. Il y a de ces projets humanitaires en qui l’on peut faire confiance, tout va directement à l’école, donc à l’enfant qui un jour deviendra grand et aura en main les atouts pour faire changer les choses. Je lui ai dit qu’on en parlerait à nos amis.