25.2.05

Edwin, le berger du vide

Posted by Hello


Je me suis mis à penser à lui en essayant de m’endormir. Mes pensées avaient erré jusqu’à lui je ne sais trop comment. Peut-être était-ce d’abord la chaleur que je fuyais? Cette nuit est trop chaude à Guayaquil. Dans l’appartement d’à côté, on dirait que toute l’Amérique latine dans la salsa. Y a plein de bruits, c’est la fête. Feliz es la vida! Lui, il est quelque part dans une petite maison dans les montagnes au Pérou, près de Huaraz, dans le noir, la fraîcheur et le plus parfait silence.

Edwin est berger. Il devait avoir 10 ans. Etonnant, n’est-ce pas? Métier démodé, anachronisme même. On ne trouve plus ce choix de carrière chez l’orienteur. Pourtant, après avoir croisé quelques-uns de ces lumineux témoins de la vie, je me dis qu’il faudrait y repenser. Imaginez…Vivre l’instant présent dans la nature; penser à pourquoi le vent vient de virer; comprendre la grandeur et la complexité d’un territoire pour l’avoir marché jusqu’à bien connaître ses moindres détails. Ne pas courir derrière le temps, mais le saisir. Nous sommes une foule de personnes qui n’aspirent qu’à cela en sachant que nous n’y arriverons jamais. Pour nous, cette quête spirituelle n’est qu’un hobby, un loisir; dans nos sociétés, le zen n’est qu’une interligne entre deux tâches à l’agenda. Dans le fond, nous sommes le plus souvent incapables de lâcher prise, de palper le temps à mains nues comme les bergers savent le faire.

« Edwin. Pour moi tu n’es pas le frère de la petite fille aux allumettes. Je n’ai pas envie d’avoir pitié de toi. Au contraire j’aimerais avoir le courage de t’envier : malgré tes souliers de foot à crampons tous percés; malgré ton passé troué aussi par la mort de tes parents; ou tes quelques trop maigres bêtes que tu guides toute la journée. Sans les quelques sous qu’il te faudrait pour manger plus, pour dormir mieux, je t’envie parce que tu touches à la vie. C’est vrai. Tu lis d’interminables heures, sans livres, en observant passer les nuages ou les gens, selon l’intérêt. Tu écris sur la terre, sans plumes, en traçant avec tes pieds des sentiers qui conduisent aux secrets de la nature. Tu sais, sans le dire, tellement plus que moi sur le sens de la vie. Tu pries aussi, sans messe, le silence est ton reflet. Tu n’as pas peur comme moi du vide. »

« Edwin, tu nous as expliqué en quelques minutes l’histoire de cette ruine de la culture des Wari. Pour nous elle était quelconque cette ruine. Les seuls touristes qui arrivent ici sont ceux qui se perdent durant une ballade dans la nature. À côté du Machu Pichu, de Chan Chan ou de celles des Chavin, tous ces vestiges cinq étoiles, ta ruine d’une demi-étoile n’a rien de spectaculaire. C’était un samedi après-midi, tu savais faire parler les morts. Était-ce de les avoir entendus la nuit? À la fin de l’explication, où tu observais les yeux de Marie ou de Florence, pour t’assurer qu’elles aient bien compris ta précieuse histoire, tu nous as dit que tu voulais être un jour guide professionnel; celui qui fait de vraies visites payantes pour les touristes Ainsi, tu prendrais mieux soin de ta vielle grande mère et de ton jeune frère. »

« Edwin tu n’es pas un p’tit cul de dix ans qui s’occupe de quelques bêtes pour le compte de ta famille. T’es plutôt le frère du petit prince, on l’a vu dans tes yeux, ces grands miroirs montrant comment ta vie est dure mais vraie. D’accord, au début j’ai dit que tu étais berger, mais si tu écoutes bien le silence de tes montagnes, tu m’entendras te dire que tu as été pour nous un guide, des plus professionnels, celui qui nous a fait faire quelques pas dans le vide »

Merci

Quand les grands du monde n’auront plus pitié des bergers, quand ils tireront l’oreille pour les écouter, ils entendront la sagesse de leur silence…

P.S. J’ai écrit ce texte pour te parler Edwin, mais surtout pour que mes enfants se rappellent de toi ainsi que de cette sagesse qui a les touché ce jour-là.

22.2.05

Feliz cumpleaños Mathilde!
Embrassez-la sur la joue, elle a deux ans aujourd'hui.
 Posted by Hello

Ma chère Mathilde, c'est à ton tour...

De retour en Équateur, nous sommes à Guayaquil dans notre nouvel appartement. Jusqu’à la fin avril, c’est ici que se reposeront nos valises. Nous attendons les parents Poiré qui sont restés coincés hier à Newark (problème d’avion). Ils devaient arriver pour l’anniversaire de Mahilde. Nous étions bien tristes (c’est peu dire) de ce contretemps.

On a donc fêté Mathile sans les grands-parents: Déjeuner de crêpes; cadeaux; ballade au Malecon (magnifique parc au bord de l’eau); dîner au McDo(!); retour pour une baignade dans notre nouvelle piscine (barboteuse gonflée); et invitation des copains/copines-voisins/voisines à souffler les bougies. Tout cela dans une journée chaude (quasi 40 degrés) et humide, les doigts croisés pour que le vol 887 de Continental Airline ne soit pas encore une fois retardé.

On a aussi pensé à ceux qui s’ennuie de Mathilde. Voici une photo d'elle prise à la mer (Mancora, Pérou) la semaine dernière. Notre bébé à deux ans!

Elle aussi vous embrasse

lafamilleenequateur

20.2.05

La St-Valentin à Mancora

Toujours au Pérou. Dans ce grand pays de contrastes, après avoir passé près d’une semaine enivrante dans les Cordillères Blanches à déguster à chaque heure du jour les splendeurs de ces hautes montagnes aux neiges éternelles ( à 6700m d’altitude), nous voici les deux pieds dans le sable sur l’une des belles plages du nord à Mancora. L’eau chaude et les plus longues vagues de gauche au monde attirent surfers et touristes chiliens, équatoriens et argentins (et quelques rares canaiens!).

Nos enfants, nos amours

Le son des vagues chatouille notre sommeil. A peine 7 heures du matin quand on entend clinquer la vaisselle et des voix qui chuchotent dans la cuisinette. Tenir notre promesse et ne quitter la chambre que sur demande! Marlene est venue aider Marie et les autres à exécuter leur plan pour la St-Valentin. Ça sent les câlins et la tendresse avec cette épice toute précieuse qu’est la candeur.

On se fait tirer du lit pour découvrir une table toute garnie pour le déjeuner (salade de fruits, gaufres et marmelade) que jalouse même la mer à quelques mètres. Marie toute grande et fière nous invite officiellement à s’asseoir alors que Florence, les yeux rieurs, se mord les lèvres de confirmer qu’ils ont réalisé ça tout seuls. Victor, le petit blond à la culotte bleue (de Bob l’éponge), tout bronzé, tourne autour friand de goûter la première gaufre. C’est un estomac sur deux pattes celui-là, il a toujours faim! Quant à Mathilde, la bouclée aux yeux bleus (coqueluche sud-américaine), avec sa couche pendante qui crie son « u » (jus) et son excitation devant de la nourriture. Une autre gourmande! On la surnomme « gordita ou wawita en quechua »
.
Marlene assiste à tout ça rêveuse, hésitant entre rire ou pleurer, entre envier ou crier à l’injustice. C’est devant leurs albums de photos qu’hier, ils nous ont raconté leur triste histoire. Alberto et Marlene viennent de perdre leur second enfant, il y a à peine deux mois, le lendemain de Noël.

Leur première fille, Marlene ne l’aura jamais connue vivante. On lui a déposé son petit corps dans les bras, le lendemain, alors qu’elle avait repris des forces suite à une hémorragie. On avait cru bon lui cacher la mort de son enfant insinuant que le bébé était dans un autre hôpital. Dans ce mois, dans ce village (pueblo), quatre bébés sont morts à la naissance probablement dû à des conditions médicales précaires. Leurs petites croix, voisines au cimetière, en témoignent.

Cinq années à se dire forts et à cacher leurs larmes, à panser cette blessure qui refait surface à la vue d’une fillette qui aurait aujourd’hui son âge, qui aujourd’hui leur ferait des câlins! Cinq années à se convaincre qu’un tel malheur ne peut arriver deux fois. Cinq année à se ramasser des sous pour un accouchement à l’hôpital (500 soles, 200$).

En juillet 2004, naissait leur seconde fille, à Piura, la plus grande ville à proximité, à trois heures de bus. Tout c’est bien passé.
L’album photo sent à son tour toute la tendresse, les bisous et l’amour pour leur fillette Linky. De la naissance jusqu’à cette photo, où vêtue de blanc telle une princesse avec sa couronne de fleurs et ses chaussons blancs, son père l’embrasse une dernière fois dans son petit lit de bois blanc. Marlene derrière lui serre le chandail et semble crier sa douleur… Tous entourent la petite tombe. Ils sont près d’une cinquantaine, émus!
A sept mois, Linky succomba à une bronchite, à l’hôpital. Malgré tout ce qu’ils ont tenté pour sauver leur fille avec l’argent amassé, vendant même leurs effets personnels, cela n’a pas suffit.

Que dire devant des photos si troubantes? Si intense d’émotions et de douleurs de parents. Il y a des mots parfois inutiles que seuls les yeux savent bien traduire.

Malheur… Pourtant un autre rêve essaie de renaître. Tous les vêtements, les jouets et le mobilier du dernier enfant demeurent à la maison, en attente. Dans un mois un poupon y fera peut-être son nid. La mère porteuse, une jeune fille de Trujillo (connaissance éloignée) ne veut pas l’enfant et surtout veut cacher la grossesse à sa famille. Marlene et Alberto feraient tout pour payer la césarienne et assister à la naissance de leur troisième enfant. Quand on les a quittés, Marlène partait pour Piura, les doigts croisés, pour toucher le ventre de cette jeune fille.

Nos enfants sont bien choyés d’être nés au Nord, et combien le sommes-nous de les avoir tout près de nous en santé et rieurs?

Besitos para tous nos petits cœurs du Québec et d’ailleurs.

7.2.05

De nouvelles photos

Hola!

(desole pour les accents)

Nous sommes a Huaraz depuis 5 jours. Dans ces montagnes a couper le souffle. Nous avons fait des ballades incroyables, rencontre des gens heureux et vu la nature dans ce qu elle peut avoir de plus beaux. Les gens sont tellement gentils ici. D autant plus qu ils sont en plein carnaval (ici c est l ete!). C est donc avec tristesse que nous prendrons la route (la piste plutot) demain. Cinq heures d une route de terre difficile avec une passe a pres de 4500m. Nous rentrons doucement vers l Equateur. D abord, on fera une pause sur les plages de Mancora, avant de rentrer et de se trouver un endroit ou vivre pour quelques mois dans la region de Guayaquil.

Nous y travaillerons de la fin mars jusqu au mois de mai; un projet de jardins communautaires dont on vous reparlera. Ca changera des technologies de l information et de la psychoeducation.

On vous embrasse en vous laissant des photos prises durant les mois de decembre et janvier.

Consultez les liens sur la page principale.

Muchos besos.

Ce n’est pas le Pérou...

7 février

Enfin, tu n’es plus que sur une carte, ou dans l’album de Tintin et le temple du Soleil. On est entré chez-toi par le désert. A première vue ton visage est dur. Homme indien, ton sang l’est plus que celui de ton frère au nord. L’océan martèle ton flanc ouest de ses eaux froides. Quelques oasis, quelques vallées vertes dont les racines des rizières plongent jusqu’au passé des plus vielles civilisations précolombiennes. Sur le bord de la panaméricaine, des ruines sèchent encore au soleil leurs larmes fatalistes. Ils sont disparus ces hommes libres; tisseurs de joncs, chercheurs d’or ou tailleurs de pierres. Le seigneur de Sipan, roi des Chimu (300 après JC), lui, vient de se faire dépoussiérer. Il reposait quand on l’a vu dans un des grands musées du monde à Lambayèque près de Chiclayo. Sa pyramide découverte en 1987 ne ressemble plus qu’à un tas de terre. De quel droit a-t-on exposé ses restes, ainsi que ceux des sacrifiés au moment de sa mort? À qui appartiennent ses trésors? Combien les chinois (ces nouveaux riches) t’offrent-ils pour découvrir tes autres trésors enfouis? Pour entretenir Chan Chan, ta cité du soleil où plus de 150 000 personnes ont vécu il y a des milliers d’années?

On a fait quelques sauts dans ton bel océan bleu marin, admirant parfois les « Caballos de totora » (bateaux traditionnels que les pêcheurs enfourchent comme un cheval, tressés de jonc) ou les « surfers » poussés par les plus grandes vagues de gauches(!). Jusqu’à quand se baigneront tes fils remplis de potentiel? Quel horizon leur donnent-ils? En accumulant des kilomètres, s’empilaient aussi des impressions de vide dans ton désert aride. Ces maisons en terre et en pailles, petites boîtes carrées invivables, nous ont piqué les yeux. Aussi, des puits tirant l’or noir que tu revends à près de 4 USD à tes pauvres chauffeurs de taxi. Pas étonnant que tes routes soient aussi belles, qui chez-toi a les moyens de rouler avec sa voiture? Trujillo, jolie ville provinciale et espagnole, notre premier vrai contact avec ton peuple colonisé. La fête des rois, que tu fêtais joyeusement ce soir-là témoignait de ton folklore peu délavé par ces années de dominance. Ces journées et ces décors se sont répétés et répétés jusqu’à Lima.

Lima est loin de ton cœur. Elle s’est construite plus près de ta tête. Impossible que ton cœur ait laissé grandir cette ville artificielle, plus encore que les nôtres. Oasis dans le désert? Tu as raté la chance de construire un autre modèle de cité. Tu avais pourtant tellement de richesses et de modèles dans les racines de ta culture. Comme nous, tu n’as pas compris que le progrès n’est pas un sens unique dans la direction de la commercialisation. Tes « Centro » sont comme nos Club Price; des centres où se pensent riches des consommateurs avertis qui accumulent les biens et augmentent leur taille. Pourquoi est-ce que Mirraflores, ton quartier plus riche, nous a-t-il aimanté? Triste que nous trouvions dans le plus beau (à nos yeux) un sentiment de bien-être. Décidément, notre famille n’est pas sevrée de ses réflexes occidentaux. Victor nous a donc convaincu de manger deux fois au McDo. Les filles ne voulaient plus sortir du Ripley, sorte d’Ailes de la Mode au Pérou. Mathilde a dû glisser cent fois dans les glissades de cet élégant parc de Lima. Est-ce égoïste de penser que tu ne devrais pas copier ces plaisirs?

La hâte que Geneviève et les grandes ont eu de visiter ton aéroport; ils arrivaient enfin… Les grands-parents (Bleau) voyageurs avaient des valises pleines de surprises tricotées par les oncles, les tantes, les cousins, les cousines. De belles retrouvailles pour tous. Tellement de joies pour les enfants. Incroyables ces souvenirs qui allaient se fabriquer dans leur tête. Des grands-parents seulement qu’à eux durant trois semaines. Ton paysage allait être la toile de fond de ces scènes de joie. À huit, bien serrés dans la voiture et tout plein de bagages sur le toit, nous avons repris la route sur ta côte sud. Encore le désert et la mer pour plus de 1000 km. Dans ta réserve de Paracas, nous avons pris la mer et approché tes Îles Ballestas, sanctuaire de millions d’oiseaux, de pingouins, de lions de mer, de phoques. Observé durant cette balade cet immense géoglyphe en forme de chandelier (150m x 50m) tracé par on ne sait qui il y a des centaines d’années. Certains pensent aux pirates qui contrôlaient cette entrée sur tes terres, d’autres relient cette forme aux mystérieuses lignes de Nazca qu’on retrouve deux cents kilomètres plus au sud. Entre temps, nous avons goûté ton vin à Ica, dans une Hacienda (avec Bodega) où la chaleur s’est mise à l’ombre avec nous le temps d’un dîner. Les enfants eux se sont mis à l’eau dans la piscine s’amusant dans les immenses glissades. Peu de gens savent que tu produis du bon vin. Ton pisco, lui est plus connu. Cette boisson forte, à base de canne à sucre, était hier celle des esclaves qui arrivaient d’Afrique pour cultiver tes terres costales autrefois plus riches. Ce jour-là, ton pisco nous l’avons bu dans un apéro appelé « Pisco Sour », mélangé avec de la lime et un blanc d’œuf battu.

Tu es mythique mon vieux. C’est à Nasca qu’on l’a d’abord vu; ces grandes formes tracées il y plus de deux milles ans …

(À suivre) Nous partons luncher dans un café Internet de Huaraz, puis au marché; histoire de prendre nos courriels, de tenter d’enregistrer quelques posts et de créer les albums de photos de décembre et de janvier. On fera attention de ne pas se faire trop arroser d’eau ou de farine. Ici, cette semaine, c’est le carnaval!

Amitiés

Lafamilleenequateurenfugueauperou