Ou Chronique du mort annoncée… (G.G. Marquèz)
Je reprends donc la saga au moment où notre voiture vient d’avoir une deuxième bouffée de chaleur à Bahia de Caraquez… Après nous avoir montré sa vraie personnalité de malade chronique, Bahia de Carrao (désormais son nom) nous forçait donc à faire un premier détour. Manta allait devoir attendre, il faut rentrer dans les terres à Portoviejo (capitale de la province du Manabi) pour comprendre la cause de ces chaleurs. Il est 12h30 et les enfants ont faim, très peu empathiques à la condition précaire de Bahia. Geneviève plonge rapidement le Lonely Planet, comme à chaque fois où nous approchons d’une nouvelle ville; où manger, où dormir, et cette fois où trouver un bon garagiste? Victor voulait un burger. Après tout, il n’y a pas qu’à Bahia qu’il faut faire plaisir. L’efficace co-pilote trouve heureusement les coordonnées d’un petit restos qui fait, semble t-il, les meilleurs burgers de Portoviejo.
Arrivée vers 13h30. Il fait chaud sur le trottoir où notre petite table obstrue le passage aux piétons. Entre le vendeur de loterie (eh oui!), qui s’est fait remarqué en crachant aux pieds de Geneviève et l’autre vendeur de chinoiseries, nous avalons des burgers qui s’avèrent à la hauteur de leur réputation. « Y a-t-il un maestro, ici à Potoviejo, qui connaisse les Land Rover ? ». Oui, selon notre restaurateur dont l’ami en possède un très vieux. Quelle chance quand même! Il s’appelle Andres et son atelier est tout près, juste à côte du cimetière (vous ais-je dit que les cimetières en Équateur sont toujours très propres, tout peints en blanc?), et il se spécialise dans les voitures importées.
À peine sommes nous arrivés dans le petit atelier, belle petite entreprise familiale, voilà que nos sauveurs lâchent tout et se mettent à plat ventre devant la grande malade. Après avoir décrypté mon récit, noté que l’air climatisé ne fonctionnait pas (on avait remarqué) et touché à deux ou trois parties de Bahia, Andres avec sa bonhomie et ses grands yeux bleus nous redonnent rapidement espoir. Rien de grave, un épisode de sa ménopause, sans plus nous dit-il. Il fait chaud sur la côte, Elle vient des montagnes où il fait froid. Ça explique en partie. Il me conseille donc de changer son thermostat dès notre retour à Quito. Ça ne presse pas semble t-il. Il ne faudra que quelques heures pour remplacer l’eau du radiateur par de l’antigel et pour injecter du fréon dans l’AC, ensuite tout sera beau. On pourra remonter dans la Sierra (les montagnes). La famille retrouve donc rapidement son sourire. On marche un peu dans le quartier et jase avec Andres et sa famille. Autre note rassurante, le moteur avaient commencé à émettre un drôle de son (une sorte de claquement) quand nous accélérions. Rien de grave encore. « Tu mets sans doute de l’essence Extra et non de la Super » devine t-il. « Voilà, change d’essence et ce son disparaîtra. Ici, l’essence Extra est pleine de poussière ». Avant de quitter, Andres monte avec nous pour un petit test. Tout va bien. Je lui remet ces 30 billets verts et nous voilà enfin repartis.
Chido (cool), encore une heure avant la noirceur! Excités et naïfs, comme Don Quichote de la Mancha après une mésaventure, nous partons nous dormir à Manta, sans oublier de faire à Portoviejo en la quittant, un grand pied de nez.
La ville de Manta, une belle soirée, un bon souper dans un resto italien (le soir où Brigitte nous apprend sa venue) une nuit de sommeil et la mer nous font oublier les récents malheurs de Bahia. Elle a bien su faire sa place, se dit-on. Après tout, surpasser Mathilde n’est pas une mince affaire. Il fallait donc qu’elle en fasse beaucoup. Matinée agréable le lendemain; passage à Monte-Cristi, célèbre pour la fabrication de chapeaux tressés de pailles très fines. Trop beaux, on en achète quelques-uns, dont un pour François qui est la seule personne qu’on connaisse qui porte des chapeaux. Dommage il faut partir : Destination Latacunga et les volcans. L’air frais nous fera à tous le plus grand bien. Bahia semble en pleine forme (maintenant abreuvée à la Super), il le faut, on doit faire ce jour-là 6 heures de route et une ascension de plus de 3000m.
Vers les montagnes, la route repasse par Portoviejo, ce qui est de mauvais augure. Superstitieux, nous croisons tous nos doigts (60 quand même) et surveillons à 12 yeux l’aiguille de la température. Tout va bien jusqu’à Portoviejo. Et puis là, merde, au milieu de la première côte après la ville, de la fumée ressort de sous le capot. Nous, c’est par les oreilles que la boucane nous sort. Demi-tour. Il fait plus chaud que la veille quand on se pointe devant l’atelier d’Andres qui semble à moitié surpris de nous revoir. Tout aussi gentil, il revient constater lui même le problème. Au milieu de la même côte, même symptôme. Bahia commence vraiment à nous énerver! En redescendant, le maestro me dit d’arrêter chez des amis qui ont un atelier de réparation de radiateurs. Aussi gentils, ils laissent les tâches qu’ils faisaient et se penchent sur les cas de l’hystérique Bahia de Carrao! Il faut retirer le radiateur et le nettoyer. Il y a peut-être une fuite. « Combien de temps ? » 2 heures me répondent-ils (il faut entendre au moins quatre).
« ¿ Y cuanto cuesta ? ». 10 piastres disent-ils. « Pas le choix ». On croyait à ce moment là avoir touché le fond du baril. Deuxième dîner forcé à Portoviejo en deux jours, et ce, sous la même chaleur lourde et grise.
Geneviève m’impressionnera toujours par cette force qu’elle a reçue de sa mère. Imaginez la scène… Il est 11h30, et à 20 mètres de l’atelier de radiateur se trouve un petit resto de
comida typica. La seule table sur le trottoir est libre. La mère enseignante installe calmement Marie et Florence pour y faire l’école avant de dîner, avec les cahiers et tout! Pendant que Victor et moi regardons les trois gars sortir le radiateur encore chaud, Mathilde est dans la voiture et joue avec quelques « playmobils ». Ah oui! L’atelier, c’est le trottoir. La rue est très passante. Les gars travaillent bien, mais le sol est couvert d’huile et de vielles pièces de radiateurs. Un des gars est en train de souder, l’autre tape avec un marteau sur un vieux radiateur de camion. Entre ces deux commerces, un autre où l’on vend des boissons gazeuses des bonbons. Le vieux et la vielle qui l’exploitent s’attablent sur le même trottoir et commencent à manger, en écoutant la télé. Plus fort que le son de leur télé, celui de leur sapin de noël (mi-novembre). Vous savez le même « Vive le vent » qui sort des cartes musicales qu’on achète chez Jean-Coutu.
« Moman, moman, ton fils passe un mauvais moment ».Valait mieux en rire…
Après les quatre heures anticipées, nous repartons, cette fois là, avec un optimisme prudent. Il y avait un trou dans le radiateur. Ici, nous commençons à comprendre un trait de caractère de nombreux travailleurs équatoriens; celui qui consiste à dire à son interlocuteur le minimum (ou ce qu’il veut entendre) pour qu’il parte content et ne nous achale plus. En route vers Quevedo (pas questions de rester à Portoviejo) les enfants s’endorment épuisés. Les paysages changent rapidement. On monte, on monte… Bahia ne fait plus de fièvre. Elle fait cependant de nouveaux bruits inquiétants dont on ne comprendra la cause que plus tard. Pour l’instant, Geneviève et moi faisons semblant de ne pas les entendre. La fraîcheur nous fait du bien. Nous arrivons enfin à Quevedo, avec la noirceur.
Je ne vous raconte pas tout le chapitre qui s’est déroulé dans cette ville. Ça devient sans doute trop long pour le lecteur. Seulement quelques points pour vous dire que l’hôtel Olympico possède une magnifique piscine de dimension olympique (!) et des glissages d’eau qui ont fait le bonheur des enfants. J’ajouterai quelques mots pour illustrer ce chapitre sauté : pertes d’huiles importantes, deux pistons hors d’usage, quelques bougies pleines d’huiles et un contrôle policier. Bahia en est à ses derniers milles! Nous en sommes presque certains. Le maestro de Quevedo est affirmatif. Elle ne fera pas le voyage jusqu’à Quito. Notre seule alternative est donc d’aller vers Guayaquil à trois heures de route au sud vers la côte (sans la moindre montagne à franchir).
En boucanant (pauvre planète), nous avons donc mis quatre heures (nous devions rouler à 70 km/h maximum) et deux pintes d’huile pour se rendre jusqu’à la plus grande ville du pays. En arrivant au garage Land Rover, juste avant la fermeture du jeudi soir, un gars nommé Victor a tout juste eu le temps d’ouvrir le capot et d’écouter avant de confirmer froidement que Bahia était très mal en point. Rendez-vous demain à 8h à l’urgence. C’est quand même avec elle que nous sommes tous partis chercher une chambre dans cette ville, qui pourrait être New-York si l’Équateur se trouvait aux États-Unis; par sa densité, ses avenues larges de six ou sept voies, autant de taxis, de bruits, d’odeurs, de complexité. Ce soir-là, nous avons acheté la paix au Grand Hotel de Guayaquil pour un séjour d’une durée indéterminée.
Ici (enfin diront certains) se termine donc l’histoire de Bahia… Le lendemain matin, vers huit heures, Victor et moi avons conduit Bahia, très malade, jusqu’à l’hôpital pour Land Rover. Une dernière bataille dans la circulation agressive de Guayaquil. Était-ce notre dernier bout de chemin ensemble? Qu’allions nous faire sans elle? Beaucoup de mots et plusieurs avis ont été échangés durant cette trop longue journée. Le dernier, celui qui a fait le plus mal, fut celui d’Hugo, un des rares garagistes que j’ai cru dans toutes cette histoire. Le moteur est à refaire au complet. L’ancien proprio a camouflé ce problème. Il savait que les jours de sa voiture étaient comptés. Il semble qu’en changeant une pièce entre les deux sections importante du moteur, on puisse maquiller temporairement une torsion ou une fuite. Sauf erreur, je crois que cette pièce s’appelle le joint de culasse. Bref, Hugo avec assurance, respect et empathie est resté avec moi et deux collègues jusqu’à 7h vendredi soir pour m’expliquer comment j’avais pu me retrouver dans cette situation; de l’inspection de la voiture, en passant par les épisodes de surchauffe, les pertes d’huile, les pistons qui lâchent jusqu’à la vision du cœur Bahia défait en pièces.
- Combien?
- Trop de milliers de dollars.
- Le temps?
- Trois ou quatre semaines (certaines pièces doivent arriver de Miami).
En revenant dans la noirceur du taxi, je dois avouer que j’étais tout à l’envers. Comment allions-nous nous sortir de cette situation? Le voyage commence plutôt mal me disais-je. Par chance, j’avais un p’tit bonhomme de cinq ans avec moi, qui lui, bizarrement était tout émerveillé. « Regarde Papa, regarde les trous. À travers le plancher on voit la rue. Tu vois les caillous !». C’était pourtant vrai. Deux immenses trous au plancher de ce vieux taxi rendaient mon fils heureux. Il les avait découvert en soulevant les tapis. J’ai alors serré Victor très fort dans mes bras pour deux raisons : la première pour me réconforter et pour le remercier de m’avoir accompagné au garage trois fois ce jour-là; mais surtout, en y repensant aujourd’hui, parce qu’il m’a fait voir à cet instant-là, par ces ouvertures anodines, une perspective joyeuse et simple de la vie. Il m’a candidement montré une vision différente de celle que nous connaissons trop: celle de la perfection et de la facilité. Une vision de laquelle ont voulait s’éloigner durant ce voyage.
Naturellement tout s’est arrangé. Le lundi suivant, après un week-end joyeux à découvrir Guayaquil et le parc du Malecon dont on reparlera, je suis retourné chez Land Rover, et aidé par Manuel Carriel (avocat dont on vous reparlera également dans un prochain post) nous avons négocié d’échanger Bahia et des dollars contre une nouvelle voiture (LR 98 verte) qui depuis plus d’un mois a fait l’ascension de plusieurs hautes montagnes en contribuant à notre bonheur.
Voilà! Je ne parle plus de voitures. Promis. Enfin j’espère…
Yves